La Pizza ? C'est Naples qui commande ! / Ezéchiel Zérah

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Autrefois considéré comme un repas de fortune, la pizza napolitaine est aujourd'hui inscrite au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'Unesco depuis le 6 décembre 2017, événement qui a suscité la joie des pizzaïolos napolitains et une large couverture médiatique internationale. Naples, ville de 900 000 habitants, est désormais davantage associée à la pizza qu'à la mafia dans les médias mondiaux. La pizza napolitaine, reconnaissable à sa pâte molle et ses bords hauts, s'est imposée sur les cartes des pizzerias du monde entier, de Niort à Tokyo en passant par Londres, où elle est parfois revisitée avec des influences indiennes. L'enseigne Da Michele réalise à elle seule un chiffre d'affaires de 100 millions d'euros grâce à une soixantaine de points de vente en Italie et à l'international. Le trafic de l'aéroport de Naples est passé de 6,7 millions de passagers en 2016 à 12,4 millions en 2023, bien que le lien direct avec la popularité de la pizza napolitaine ne soit pas établi. Au XVIIIe siècle, Naples était une ville densément peuplée où la majorité du peuple consommait dans la rue des macaronis et des pizzas épaisses au saindoux, jugées peu appétissantes par les chroniqueurs de l'époque. Samuel Morse, inventeur du télégraphe, qualifiait la pizza de " morceau de pain sorti d'un égout ". Les premiers pizzaïolos, appelés pizzaiuoli, étaient des vendeurs itinérants peu considérés socialement, proposant diverses variantes : à l'huile, au sel, à l'ail, à l'origan, au fromage, aux anchois et au poivre. Les premières pizzerias fixes, appelées bottega del pizzaiuolo, étaient organisées en petites loges séparées, et la pizza est longtemps restée une spécialité régionale de Campanie. Son exportation s'est faite tardivement, certains attribuant sa diffusion internationale aux soldats américains après la Seconde Guerre mondiale, d'autres à la diaspora italienne aux États-Unis, où de nombreux styles régionaux ont vu le jour, comme la deep dish de Chicago ou la cold cheese pizza. Naples demeure le centre névralgique de la pizza, où la margherita (sauce tomate, mozzarella, basilic) est la référence. Un projet de musée de la pizza est régulièrement évoqué, avec l'idée d'en faire un lieu de mémoire, de discussion et de réflexion sur l'alimentation et l'agriculture, à dimension internationale. En Italie, la pizza napolitaine est aussi un outil de soft power et de pop culture. Depuis 2017, le classement 50 Top Pizza, créé par trois Napolitains dont le critique Luciano Pignataro, distingue chaque année les meilleures pizzerias du monde. Ce palmarès a contribué à médiatiser des pizzaïolos comme Franco Pepe (sujet d'un documentaire Netflix en 2022), Francesco Martucci, Diego Vitagliano, Peppe Cutraro (France) ou Anthony Mangieri (New York), dont le restaurant Una Pizza Napoletana a été élu meilleure pizzeria du monde en 2024. En Italie, on estime à 8 millions le nombre de pizzas consommées chaque jour, pour 40 000 restaurants-pizzerias. La pizza napolitaine, autrefois méprisée, est aujourd'hui un symbole de fierté et d'innovation. La diversité des pizzas napolitaines se manifeste à travers plusieurs variantes emblématiques : La pizza frite (" pizza fritta "), popularisée par Sophia Loren dans L'Or de Naples (1954), est une spécialité vendue historiquement par des femmes, notamment par Anna Manfredi (" Masardona "), dont l'établissement existe depuis 1945. Elle se compose de ricotta de brebis, provolone fumé, gras de porc rissolé et poivre noir. La pizza " parisienne " (ou " parigina "), présente dans toutes les boulangeries napolitaines, est faite de mozzarella, jambon et pâte feuilletée. Son nom viendrait de " pa' riggina " (" pour la reine "), en référence à Marie-Caroline d'Autriche. Les pizzas de puristes incluent la margherita et la marinara (tomate et ail à la place de la mozzarella), mais aussi la cosacca (pecorino râpé) et la mastunicola (saindoux, fromage de brebis, basilic, poivre), une recette antérieure à l'introduction de la tomate. La pizza créative est représentée par des établissements comme Concettina ai Tre Santi, où Ciro Oliva propose un menu dégustation à 70 euros, incluant la " sott' e' ngopp " (pizza à l'envers). D'autres chefs comme Diego Vitagliano et Ciro Salvo (50 Kalò) revisitent la pizza avec des recettes innovantes. La pizza des enfants, " wŁurstel e patatine ", garnie de frites et de saucisse, est très populaire auprès des jeunes et des adultes. La pizza sucrée, courante à Naples, est proposée par des pizzerias historiques comme Starita, célèbre pour ses angioletti (pâte à pizza frite, crème de pistache, sauce chocolat-noisettes). Depuis le XVIIIe siècle, la pizza reste à Naples un mets populaire, consommé dans la rue, et la ville continue d'imposer ses codes et son influence sur la pizza mondiale.

Voir le numéro de la revue «Echos week-end (Les), 451, 28 Juin 2025»

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