Au Venezuela, le rhum qui pacifie les gangs / Gérard Muteaud

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Il y a vingt ans, Alberto Vollmer, PDG de l'hacienda Santa Teresa, principale rhumerie du Venezuela, a été agressé dans sa propriété. En réaction, il fonde en 2003 la fondation Alcatraz pour réinsérer les membres de gangs vénézuéliens par le travail, l'éducation et le rugby. Santa Teresa, entreprise familiale fondée en 1796, produit de la canne à sucre, du café, du cacao et du rhum depuis 1885. L'entreprise a résisté à vingt-cinq ans de révolution bolivarienne, à des tentatives d'expropriation, de racket et d'agression, dans un pays où le PIB a été divisé par huit et où les taux d'endettement et d'inflation sont records. En 2000, l'hacienda est envahie par 500 familles soutenues par un proche d'Hugo Chavez. Vollmer négocie et cède une partie des terres, mettant en place un programme immobilier pour 123 familles, sous condition de remboursement du crédit, d'occupation de dix ans minimum et de scolarisation d'un enfant jusqu'au bac. En 2003, un braquage manqué par un gang marque le point de départ du projet Alcatraz. Vollmer propose aux membres du gang de travailler à l'hacienda ou de rester en prison. Le projet, soutenu par le ministère de la Justice, vise à désengorger les prisons surpeuplées, comme Tocoron qui accueille plus de 14 000 prisonniers pour 700 places. Le rugby, sport peu connu au Venezuela, est choisi pour ses valeurs d'éthique, de respect et d'égalité. Vollmer et son frère l'ont découvert à Paris dans les années 1980. Le projet Alcatraz s'étend rapidement : en vingt ans, 250 jeunes hommes issus de onze gangs criminels ont suivi le programme, dont 70% ont terminé et choisi de transformer leur vie. La majorité travaille à l'hacienda, d'autres ont suivi leur propre chemin. Les armes remises par les criminels amnistiés ont été fondues pour fabriquer des ustensiles de mixologie offerts aux bartenders de la marque. La fondation Alcatraz est présente dans 82% des prisons vénézuéliennes, soit 33 centres pénitentiaires, où plus de 1 000 détenus reçoivent chaque semaine une formation basée sur les valeurs du projet. Le taux de récidive a chuté à 2%. Dans la vallée d'Aragua, le taux d'homicide est passé de 174 à 12 morts pour 100 000 habitants. Le projet a permis de sceller des accords de paix entre gangs rivaux, suscitant l'intérêt de nombreux détenus. Des exemples de réussite illustrent le programme : José Gregorio Arrieta, l'un des braqueurs de 2003, est devenu entraîneur de rugby et son fils Wilkinson, capitaine de l'Alcatraz Rugby Club, ambassadeur de la marque Santa Teresa 1796, formé à la production de rhum, à la mixologie et à la prise de parole en public, parlant anglais, italien et français. Jesus Arrieta, cousin de José, a obtenu un master en communication sociale et souhaite créer une fondation pour aider les personnes en difficulté. La force du pardon et la réinsertion par le travail sont des piliers du programme. Santa Teresa, avec 80 millions de dollars de chiffre d'affaires, détient 60% du marché du rhum au Venezuela et exporte dans une trentaine de pays. Près de 2% des revenus financent la fondation. La marque, autrefois proche de la faillite en 1999, est aujourd'hui leader et la plus aimée du pays selon Vollmer. Le succès du projet Alcatraz a transformé l'entreprise en un outil au service du bien commun, conciliant objectifs commerciaux et engagements sociétaux. La gamme Santa Teresa comprend notamment le rhum 1796, élaboré par triple distillation et vieilli en solera, méthode andalouse, garantissant un style régulier et un profil aromatique doux et épicé. Début 2024, la maestra ronera Nancy Duarte a lancé un ron Speyside Whisky Cask, vieilli en fûts de single malt écossais, ainsi qu'une version maturée en fûts de café. Santa Teresa se positionne parmi les marques de rhum les plus dynamiques d'un marché en plein essor. La visite touristique de l'hacienda est assurée par d'anciens membres de gangs réinsérés. Vollmer, qui n'adhère pas à l'idéologie bolivarienne, reste en contact avec le gouvernement et sert d'intermédiaire pour des investisseurs étrangers. Il affirme que la pauvreté est très grande au Venezuela, que la police et la justice sont corrompues, mais que la fondation Santa Teresa vise à changer les bases de la société locale. L'expérience du projet Alcatraz a permis de transformer la vie de nombreux jeunes issus d'environnements hostiles, en en faisant des citoyens responsables.

Voir le numéro de la revue «Echos week-end (Les), 451, 28 Juin 2025»

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